Sophie Guignier

mars 21, 2015 at 9:00 pm

Rester à la mode sur le web : veille et prédicteurs de tendances

Rester à la mode sur le web : veille et prédicteurs de tendances

Parfois ce qu’on prend pour une nouvelle mode ou une start-up sans intérêt peut se révéler devenir un comportement bientôt ancré dans les usages, un futur géant de l’économie ou un nouveau business model rapidement copié et amélioré. Gigaom a publié en mars 2014 une analyse de la comparaison faite par le fondateur de BuzzFeed entre son site et Time Magazine. Dans cet article, l’auteur Mathew Ingram citant Clay Christensen note que nombre d’innovations commencent par ressembler à des jouets. En effet, le niveau de maturité de l’innovation à son lancement sur le marché étant faible, il est rare que celle-ci soit perçue comme un nouvel acteur majeur capable de révolutionner des usages dès son apparition. Ainsi les acteurs en place ne se méfient que trop rarement de ces nouveaux entrants qui, quand ils ont atteint un stade de maturité plus avancé, finissent par changer durablement l’industrie et dans le pire des cas par menacer les acteurs préexistants.

As venture investor Chris Dixon pointed out some time ago, in a paraphrase of Innovator’s Dilemma author Clay Christensen, the next big thing “always starts out looking like a toy.” That’s why it’s difficult for others in the same industry — whether it’s the automotive industry or the disk-drive business — to see these innovators as actual competitors, which often gives them a valuable head start. And it’s not just BuzzFeed: the same could arguably be said of Twitter and Facebook, both of which seemed like toys before they became multibillion-dollar companies.

Cette remarque de l’innovation immature qui a toujours l’air d’un jouet est d’autant plus vraie à l’ère digitale. En effet, les innovations – pures ou incrémentales – voient leur rythme s’accélérer. De nouvelles technologies semblent faire leur entrer sur le marché chaque jour. Ainsi, il se crée de nouveaux jouets chaque jour dans le digital en général. La difficulté de faire les part entre les innovations qui resteront des gadgets et celles qui deviendront réellement disruptives et changeront nos comportements est d’autant plus accrue sur le web. D’une part le temps de mise en production des innovations est extrêmement réduit (un bouton à presser une fois les développements terminés) D’autre part les principes entrepreneuriaux des start-ups web se fondent sur le test marché réel et temps réel des innovations. Les technologies de A/B testing, les possibilités de feedback en temps réel et la facilité de faire évoluer un produit sur le web rendent les start-ups internet extrêmement agiles et promptes à se développer ou à adapter leur stratégie. Julie Götzfried, Chef de projet Conception UX chez MYTF1 va jusqu’à affirmer que le A/B testing a pour une bonne part remplacé la recette technique.

Le cas de Flickr est un bon exemple. Flickr n’était au départ qu’une simple fonctionnalité d’un produit tout autre. Jessica Livingston l’explique dans son livre Les Plus Grandes Réussites Du Web. Fake, Butterfield et Classon avaient créé l’entreprise Ludicorp en 2002. L’entreprise développait des jeux de rôles où les joueurs interagissaient par messagerie instantanée. En 2004, ils y ont ajouté un chat qui permettait l’échange de photo et ont vite constaté que la popularité du chat prenait le pas sur le jeu lui-même. Ils ont alors opéré un tournant stratégique et développé Flickr qui a le succès qu’on lui connait et a été racheté par Yahoo en 2005. Ludicorp /Flickr a opéré son développement, son pivot stratégique et son rachat en à peine trois ans ! C’est un timing qui serait impensable en dehors du web.

La leçon à tirer de ces expériences est sans doute qu’une veille technologique et de marché est essentielle dans le digital sous peine de se faire très vite distancer. Dans le domaine du design des sites web, il existe des sites comme Dribbble.com où l’on peut suivre les créations graphiques des web-designers. Les designers présents sur la plateforme proposent des designs et montrent les projets sur lesquels ils travaillent. Dribbble est un excellent baromètre des tendances du webdesign. Les designers se cooptent sur le site. Il se crée des communautés par affinités, sensibilités. Malgré le trait de chaque artiste, on peut voir une certaine unicité se dessiner. Sont-ils suiveurs, ne font-ils que sublimer la règle commune ? Ou au contraire, à force de petites améliorations, vont-ils créer un nouveau genre qui se distinguera fortement du flat design.

Je cite ici Joffrey Lantoine, Product Designer chez Wimi :

Sur Dribbble, les designers postent tous les jours. C’est un site qui fonctionne par invitation c’est un cercle fermé. Les deigners qui y sont présents donnent le La. Par exemple, les effets de transparence avec effets de blur sont utilisés depuis un an mais commencent seulement maintenant à devenir mainstream.

Cette interview m’amène à penser que même si ce sont les grandes firmes qui imposent des tournants majeurs dans le design, les webdesigners marquent de leur création artistique les évolutions graphiques à l’intérieur de ces grandes tendances. Ils créent ainsi des micro-modes (comme le blur dont parle Joffrey ou les effets de parallax sur les images) qui apportent de la diversité au sein de ces grandes tendances. Je le cite à nouveau :

Il y a des raisons aux modes. Le passage de skeuomorphisme au flat, génère des débats sans fin, notamment sur l’ergonomie. La durée d’une mode dépend de si les gens s’en lassent. Il faut que les sites et appli se renouvèlent. Donc il y a une nécessité de la mode.

Dans le domaine du marketing aussi existent des gurus des tendances, des ‘prédicteurs’ de modes qui annoncent d’une année sur l’autre les tendances qui vont se développer dans l’année à venir. J’ai trois exemples en tête : l’agence media Vanksen, le gourou du marketing Rohit Bhargava et le bureau de tendances Nelly Rodi qui a une section réservée au digital. Chacun de ces trois acteurs publie des contenus prospectifs, Nelly Rodi sous la forme d’un blog (nellyrodilab.com), Rohit Bhargava sous la forme d’un livre qu’il publie tous les ans et qui s’intitule The Non-Obvious Trend Report et Vanksen sous la forme d’une présentation PowerPoint annuelle elle aussi, publiée en plusieurs langues et qui porte le titre de Les 10 tendances webdesign by Vanksen. Je relaye ci-après les tendances relevées pour 2014 (ou en 2014 pour Nelly Rodi) de chacun des trois acteurs.

nelly rodi 2014_mini

rohit 2014_mini

vanksen 2014_mini

Trois réflexions à la lecture de ces tendances.

  • D’une : elles sont cohérentes entre elles. Aucun des acteurs ne semble dire que le futur est vers la droite quand les autres le voient à gauche.
  • De deux : elles sont vraies. Ecrivant ce papier à fin 2014, je peux attester que 95% de ces tendances sont vérifiées.
  • De trois : les ayant lues à fin 2013 ou courant 2014, elles ne m’apportaient pour autant aucune surprise.

En fait, ces trois acteurs ont le mérite de formaliser ce que l’ensemble de l’industrie du digitale pressent ou pense tout bas. Aux amateurs du digital, ils apportent la vue de l’intérieur ; aux professionnels du secteur, ils apportent la prise de recul sur les tendances dont ils sont les moteurs. Finalement, ils ne prédisent en rien le futur mais formalisent une veille bien réalisée. Cela signifie donc que prévoir l’avenir du digital n’est pas l’affaire d’une boule de cristal mais juste un résultat d’expertise. Il est donc nécessaire à tout acteur du digital de se maintenir informé via les blogs, la presse, de toujours garder en ligne de mire ses concurrents mais aussi jeter un regard aux nouvelles start-ups et modèles économiques, aux innovations marketing. La tâche est à la fois simple et gigantesque dans le digital où foisonnent les contenus via les sites et blogs relatifs aux start-ups, aux applications web et mobile, au marketing digital. La recherche de l’information est donc plutôt facile, c’est le tri et la détection des signaux pertinents qui fait la qualité de la veille dans le secteur du digital.

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Sophie Guignier

sophie guignier

Directrice Adjointe du MBA Digital Marketing & Business de l’EFAP (MBADMB)
Formation initiale HEC (H04),
Manager marketing & stratégie au sein du start-up studio adVentures