Sophie Guignier

avril 5, 2015 at 10:03 pm

La copie au coeur des mouvements du digital

La copie au coeur des mouvements du digital

Une bonne idée, qu’elle relève du design, du jeu, du marketing ou du business model, ne reste jamais longtemps unique sur le web. Tour d’horizon de la copie, au cœur même des tendances dans le digital.

 

La copie dans le webdesign : le rôle du template

Dans le domaine du webdesign, avec l’avènement des CMS (Content Management Systems), il est devenu possible à des néophytes de créer et administrer des sites web de A à Z. Sur des sites du type Themeforest on trouve des modèles de sites web, prêts à être implémentés dans tous les CMS imaginables. Ces modèles (« templates ») sont à la pointe du design et des possibilités techniques offertes. Ils sont créés par des designers et licenciés pour quelques dizaines de dollars chacun. Les templates sont donc une alternative économique et efficace à la création d’un site sur mesure de bout en bout par un prestataire. Ne peut-on craindre alors que tous les sites ne commencent à se ressembler ? D’autant plus que sur les places de marché de thèmes comme Themforest, la notation des templates par les pairs fait toujours ressortir les thèmes les plus populaires en haut de liste. A l’instar des dispositifs d’orientation de l’attention, plus les thèmes sont populaires, plus ils sont téléchargés et utilisés et plus on peut craindre d’avoir acheté le même template que son voisin.

themforest_mini

 

On peut nuancer cette crainte d’abord parce que la pratique de copier le design du site de son voisin n’a pas attendu les templates pour exister. On trouvait des sites presque copier-coller avant l’arrivée des CMS. Ensuite parce que les plus complets – et les plus populaires – de ces templates proposent une infinité de possibilités qui permettent à chacun d’adapter le site à son identité, à ses envies, et de faire preuve d’une certaine créativité à l’intérieur même du template. Enfin parce que si les chiffres indiqués par themeforest.net sont vrais, le plus populaire des thèmes en octobre 2014 est Avada et il a été téléchargé plus de 1000 fois depuis sa première mise en ligne mi-août 2012 (sources : Themeforest et WordPress Theme Detector). Disons que nous pouvons multiplier ce chiffre par 10 pour refléter la potentielle disponibilité de ce thème sur d’autres plateformes. On arrive donc a potentiellement 10 000 sites clones. Or il se crée chaque jour sur internet plus de 800 000 sites web (source : Blog du modérateur)! Ainsi ces sites clones issus du thème WordPress le plus populaire sur Themeforest ne représentent que 0,002% des sites produits sur la période d’existence du thème. Le poids du template sur l’uniformisation du web peut donc être grandement relativisé. En revanche on peut comprendre la crainte des web designers qui se voient préférer des templates à leurs prestations sur mesure. Les templates sont faciles à utiliser et à faire évoluer et sont extrêmement économiques (moins de 100 dollars quand un webdesigner peut facturer un site milliers à plusieurs dizaines de milliers de dollars). On voit toutefois les pratiques des webdesigners évoluer pour tenir compte de ces avancées techniques liées aux CMS. Beaucoup de webdesginers proposent non seulement d’appuyer leur site sur des CMS pour faciliter l’administration du site par leur client en toute autonomie mais aussi de partir d’un template afin de gagner du temps et de proposer un devis plus compétitif. Le travail du webdesigner est alors d’apporter une touche de créativité et d’originalité au template qui rendra alors le site à nouveau unique tout en respectant les standards et tendances du moment. 

Finalement, dans cette utilisation de modèles de sites web, on peut se demander qui est la poule et qui est l’œuf. Est-ce véritablement le template qui est à l’origine de l’uniformisation des sites web ? On l’a dit précédemment, on n’a pas attendu les modèles pour copier le design du site concurrent. Les templates ne sont-ils pas au final les simples reflets industrialisés des designs dans l’air du temps ? Les webdesigners qui créent les templates sont eux-mêmes des créatifs qui fréquentent les sites communautaires de designers comme Dribble et où ils trouvent leur source d’inspiration. Difficile de définir donc si les templates génèrent une mode ou s’ils n’en sont que le reflet. Cette réflexion est résumée dans l’extrait suivant de l’article de Jessica Dooryhée sur le blog Ecrire pour le web:

Pourquoi utiliser un template? Pour les mêmes raisons qui nous poussent à choisir du prêt-à-porter plutôt que du sur mesure fait par un grand créateur: budget, accessibilité et praticité, sans oublier l’effet de mode.
Gain de temps, gain d’argent, le template, reconnaissons-le, est un outil bien pratique…qui est le fruit d’une démarche créative nécessairement contrainte par des exigences d’adaptabilité et de polyvalence. Conséquence directe: il n’est pas rare de trouver que les sites web que l’on parcourt ont un léger air de famille…
Faut-il pour autant attribuer au template cet effet d’uniformisation ? Probablement pas. Les tendances actuelles qui tirent le web vers un design minimaliste ou flat design ont également leur rôle à jouer.

 

Les mèmes

Le phénomène de template crée des sites copier-coller de manière quasiment passive. Mais la copie ou tout au moins le principe du ‘me-too’ (moi aussi) est au cœur de bon nombre des phénomènes du web et ce de façon active. Le plus évident est le mème. Le mème est fondé sur la copie puisque l’idée est que chacun produise sa propre version d’un même modèle. Pour en savoir plus sur le mème, je vous invite à lire mon article sur le sujet.

 

La copie frénétique des jeux

Un autre modèle moins évident a priori est le jeu. On connait tous les jeux phares qui ont réussi à se faire un nom : Candy Crush, Angry Birds, Flappy Birds, 2048… Ce que l’on réalise moins, c’est que ces jeux sont dès leur sortie copiés des centaines de fois et en un temps record. Un article de Paul Tassy dans Forbes de juin 2014 mentionne qu’à l’apogée de Flappy Birds, des dizaines de jeux similaires étaient uploadés sur l’Appstore tous les jours.

The app store has been absolutely flooded with Flappy Bird clones, defined as any game where a figure is navigated through pipes or pipe-like objects, and according to Pocket Gamer, the rate doesn’t seem to be slowing. Tracking data for the latest clones (of which there are hundreds, if not thousands) they found that on average, there were sixty Flappy Bird clones a day uploaded to Apple’s iOS app store.
That’s one Flappy Bird clone every 24 minutes.
The reason this gold rush is even possible is because of how simplistic the code is for the game. Wired recently ran an interesting piece where they set out to see the minimum amount of effort it would take to make their own Flappy Bird knock-off. What they found is that after purchasing the source code from another clone (“Flappy Crocodile”), they were able to slap one together in three hours for a total cost of $99.

La facilité de développement de ce type de jeux aide grandement. L’article le mentionne. Des développeurs malins et aguerris sont capables de créer un clone (‘copycat’) d’un jeu en moins de 3 heures et pour moins de 100 dollars. Il est attractif d’essayer de sortir son épingle du jeu en créant une copie. L’engouement est tel pour les jeux que le marché offre certainement de la place pour plusieurs acteurs, même avec des produits similaires. De plus, les algorithmes qui soutiennent la recherche d’applications sur les marchés Google, Apple ou Android, font remonter des applications similaires à la recherche exacte pour toute recherche. Ainsi les applications copycat bénéficient du pouvoir de traction de l’application phare qui est en train de faire le buzz pour leur mise sur le marché. Il serait donc conseillé à tous les développeurs qui rêvent de connaitre le succès sur une application clone de se mettre rapidement au travail dès qu’ils identifient un jeu qui prend son envol, afin de bénéficier de sa force de traction alors que celui-ci est en pleine génération de buzz.

 

La copie de business-models… industrialisée

La copie existe aussi entre start-ups. Le partage de bonnes pratiques, la veille que mènent toutes les entreprises sur le web génèrent forcément des contenus clones ou des copies de business model. Prenons l’exemple de l’application de rencontres Tinder. L’application créée en 2012 a généré une révolution dans le monde du dating. Son ergonomie, sa rapidité liée son choix stratégique de ne s’intéresser en premier lieu qu’à l’attirance physique (on ‘swipe’ à droite ou à gauche selon qu’on aime ou pas la photo présentée) et le principe du ‘matching’ (les personnes ne sont mises en relation que si l’attirance est réciproque) qui rend la recherche ludique ont bouleversé les codes des sites de rencontre en ligne qui se fondaient jusque-là sur les règles du jeu des traditionnelles agences matrimoniales. Tinder est présent dans le monde entier et a généré déjà plus de deux milliards de matchs en juin 2014 (source : Gentside). Alors forcément le modèle est regardé sous toutes ses coutures et suivi. Il génère des start-ups copycats, qui se prévalent de l’amélioration d’une ou l’autre des fonctionnalités, d’une meilleure expérience client ou d’une philosophie un peu différente. C’est le cas par exemple de l’application française qui est décrite dans la presse comme le Tinder français. Si l’application ne dément pas sa source d’inspiration, elle assure toutefois s’en écarter en mettant l’accent sur la géolocalisation et la fréquence de passage à un endroit donné, évitant l’écueil des faux profils qui spamment l’utilisateur Tinder. Happn a été lancée au premier trimestre 2014, compte 1 million d’utilisateurs et lève 8 millions d’euros auprès d’un fonds d’investissement fin 2014 (source : Les Echos). L’influence de Tinder ne s’arrête pas là. Si le modèle génère l’engouement des créateurs de start-up, il bouscule évidemment les modèles établis qui n’hésitent pas à copier le nouvel entrant pour rester à la page et ne pas perdre leurs utilisateurs. C’est le cas de Meetic. Meetic a créé une fonctionnalité nouvelle à son application mobile fin 2013 qui reprend les facteurs clés de succès de Tinder : le swipe et le match.

La copie peut même être industrialisée. Rocket internet est un exemple d’empire fondé sur la copie en série de business models ayant fait leurs preuves. Rocket Internet est une société fondée en 2007 en Allemagne par les frères Oliver, Marc, and Alexander Samwer. Ils ont créé en 7 ans pas moins de 75 start-ups dans plus de 50 pays, employant environ 25 000 personnes à travers le monde et générant plus de 3 milliards de dollars de revenus annuels (source : New York Times). Ils ont actuellement 52 sociétés en activité dans le monde. Leur méthode de succès est fondée sur ces trois piliers:

  1.  repérer les business models à succès (“If there’s a clear business model that is proven to work, we will look at it”, dit Oliver Samwer)
  2. investir rapidement puis répliquer avec méthode et rigueur ces business models et leur stratégie (“The Internet moves at Formula One speed; execution is the most important component of a successful business.”)
  3. développer les sociétés de préférence dans les marchés non adressés par la société copiée, notamment en Europe et dans les marchés émergents.

Le tableau ci-après montre quelques exemples d’investissements réalisés par la société Rocket Internet.

rocket internet_mini

 

On voit ici que la société agit vite. Elle peut créer un clone d’une société prometteuse à peine un an après la création de la start-up d’origine (c’est le cas de CityDeal créé en 2009, alors que Groupon lui-même a vu le jour en 2008). Rocket Internet met les moyens financiers nécessaires à la création rapide de ses sociétés. Sur les sociétés à succès mentionnées dans le tableau, les investissements vont de 15 à 243 millions de dollars en plusieurs étapes. Les investissements initiaux tournent généralement autour des 20 millions de dollars.

 

Les stratégies pour faire face à ces copies ou s’en prémunir sont traitées dans un article à lire ici.

0 likes Digital , Stratégie
Share: / / /

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Sophie Guignier

sophie guignier

Directrice Adjointe du MBA Digital Marketing & Business de l’EFAP (MBADMB)
Formation initiale HEC (H04),
Manager marketing & stratégie au sein du start-up studio adVentures